Je vais, au travers de 3 histoires, 3 histoires parmi tant d’autres, vous donner un aperçu de ce qui se joue dans un atelier d’art-thérapie
C. est un battant ! Il va de l’avant. Tout ce qu’il a obtenu dans la vie c’est parce qu’il l’a voulu et qu’il n’a rien lâché. Il en est fier. Il déteste se voir là, dans une institution psy, certains jours sans énergie.
Il se dit « mais bon sang bouge ton c….
N. après son burnout est soignée pour des troubles du sommeil. Lorsqu’elle arrive en atelier ce matin-là, elle se demande si elle va réussir à faire quelque chose; elle n’a aucune énergie et « rien dans la tête » !
La prise en charge de R. au sein de la clinique touche à sa fin. Il est confiant mais aussi très inquiet de son «retour à la vraie vie ».
Avant de suivre le fil de ces histoires, arrêtons-nous sur ce que disent les chercheurs à propos du burnout et de sa nécessaire prise en charge.
Le burnout professionnel est un processus. Il résulte de la tension de plus en plus forte, « l’écartèlement entre ce que l’on est et ce que l’on doit faire* ».
Il se traduit par l’érosion des valeurs, de la dignité, de la clairvoyance et de la volonté d’engagement. Il trouve un terreau dans des organisations où les risques psycho-sociaux sont avérés et davantage auprès de personnes ayant un fort investissement dans leur métier.
Erosion progressive… et soudain, la digue se rompt… C’est le syndrome d’épuisement professionnel.
*Maslach Ch. et Leiter M. P., Burn-out. Le syndrome d’épuisement professionnel, Les Arènes, 2011
Après le burnout, c’est à dire lorsqu’enfin on a posé ce mot sur ce qui nous arrive, que peut-on faire ?
Comme pour une maison saisie par les flammes, une reconstruction est un passage obligé avant un retour à l’équilibre. Il y est ici aussi question de cheminement dont ne peut guère brûler les étapes.
Il s’agit d’abord de retrouver une forme physique et un équilibre émotionnel.
Puis de se retrouver, de réaffirmer ses valeurs et souvent de rebâtir l’estime de soi.
Ce n’est qu’à ce stade (et à cette condition) que l’on peut enfin se remobiliser, se remettre en mouvement, retrouver la sensation de « tendre vers un but ».
Enfin vient l’étape qui consiste à revisiter son projet professionnel : objectifs visés, cadre souhaité, moyens à mettre en œuvre pour avancer. Il s’agira peut être juste de le reconfirmer ; ou bien de l’infléchir vers une nouvelle étape de sa vie.
Cette approche théorique étant posée, voyons comment l’art-thérapie, parce qu’elle mobilise notre intelligence créative , peut nous aider à ces différentes étapes.
L’art-thérapie propose, en complément d’autres approches de soins psychiques et/ou physiques, un cadre thérapeutique pour redevenir acteur. Ici, on reprend les commandes : de ses gestes, de ses choix, du sens que l’on veut donner à ce que l’on fait. Comme un enfant joue pour se préparer à vivre, le passage par l’atelier est comme un jeu sérieux, un passage vers une nouvelle existence.
Reprenons le fil de nos 3 histoires. Elles permettent d’illustrer ce que le passage par l’atelier d’art-thérapie apporte de spécifique, en complément des autres approches thérapeutiques.
Dans le cadre de l’atelier, il est question de faire plutôt que de dire, de mise en mouvement et en forme plutôt que de paroles. C’est un espace sécurisé où l’on peut apprivoiser son processus créatif, toujours singulier, et le muscler pour qu’il s’exprime dans tous les autres domaines de son existence.
C. est un battant ! Il va de l’avant. Tout ce qu’il a obtenu dans la vie c’est parce qu’il l’a voulu et qu’il n’a rien lâché. Il en est fier. Il déteste se voir là, dans une institution psy, certains jours sans énergie. Il se dit « mais bon sang bouge ton c….
Lors du tour de table en début d’atelier, il dit « je veux être dans l’action ». Il veut (re)bâtir sa vie. Il choisit pour l’heure de faire une sculpture par assemblage de matériaux divers, de représenter un « lieu » où il se sentirait chez lui.
En fin d’atelier, il regarde sa création qui représente une maison. Il commente à voix haute, comme s’il se parlait à lui-même : « la base est là, solide, mais… les murs (en tissu) flottent… Ils ne protègent que des regards. Ils sont faciles à balayer au moindre coup de vent ».
C. reste en début d’atelier coincé dans son discours sur lui-même. Il ne veut pas s’attarder sur sa vulnérabilité, prendre le temps de la considérer. Comme s’il voulait se convaincre que tout cela n’a été qu’un mauvais rêve et qu’il lui suffit de se réveiller pour tourner la page. L’atelier l’aide à assumer ce qui lui arrive. Il l’exprime par la sculpture, en créant des formes et en choisissant des matériaux qui, de manière métaphorique, osent aborder la question de la fragilité. Cet objet créé devient ensuite un support pour sa parole, une parole « libérée » de son moule…
N. a fait un burnout. Elle est soignée pour des troubles du sommeil. Lorsqu’elle arrive en atelier ce matin-là, elle se demande si elle va arriver à faire quelque chose; elle n’a aucune énergie et « rien dans la tête » !
Je réagis du tac au tac : « ça tombe bien, on n’a pas besoin de la tête pour le moment ». Elle choisit de découvrir une matière en se relaxant : la terre. Cette découverte s’engage et au bout d’un moment, N. me confie « j’aimerai taper dessus » ! Elle va donc « battre la terre », comme le fait une sculpteure qui chasse les bulles d’air pour que sa pièce n’explose pas lors de la cuisson. N. s’amuse en m’écoutant lui dire cela… Puis son processus de création se poursuit et elle va sculpter un paysage en trouvant seule de multiples manières d’approcher cette matière. Jusqu’au geste ultime où elle signera son œuvre sur la feuille blanche qui lui sert de support avec une terre liquide qu’elle s’est fabriquée avec de l’eau.
N. était envahie par son émotion au point d’en être tétanisée… La terre, médium puissant, lui offre la possibilité de faire un pas de côté. Soudain, elle ouvre une nouvelle voie d’expression avec le corps qui s’engage presque par intuition dans un mouvement créatif. Le vocabulaire artistique la « déroute ». Et ces sorties de route sont salvatrices ! Alors qu’elle tournait en rond, l’atelier lui donne une impulsion pour prendre une tangente.
La prise en charge de R. au sein de la clinique touche à sa fin. Il est à la fois confiant et inquiet de son «retour à la vraie vie ».
Cet atelier est le dernier d’une série de 10. Pendant celui-ci, il choisit, après un bref échange, de créer une installation artistique sur le thème du « dedans-dehors ». Il est totalement autonome dans la réalisation mais tient à me convier à certains moments, pour avoir mon point de vue de plasticienne. Parfois il s’en inspire pour modifier son travail, parfois, il m’explique pourquoi il n’en tient pas compte. Ce cheminement l’aide à élaborer (pour moi mais surtout pour lui-même) sur les lieux ressources, les obstacles, les dangers réels ou imaginaires, les stratégies pour circuler entre ces deux espaces, le dedans et le dehors.
R. ressent de l’inquiétude avant de reprendre une vie quotidienne « classique ». Et c’est normal ! Il fait de l’atelier d’art-thérapie un sas : un espace sécurisé où il peut se projeter, tester et affiner ses perspectives et s’entraîner à la confrontation avec le regard d’autrui.
A chacune des 4 étapes nécessaires de la reconstruction, l’art-thérapie offre des possibilités adaptées qui sont synthétisées ci-dessous.
Ce qui se passe dans l’atelier d’art-thérapie s’articule avec ce qui se passe dans les autres espaces de soin. Mais ici, c’est l’imaginaire qui s’active et la métaphore qui fait son oeuvre.
L’art-thérapeute accompagne la personne dans sa remise en mouvement. La considérant comme un « sujet créateur », elle cherche à la connecter à son intelligence créative et à en maintenir la flamme. L’atelier d’art-thérapie est un espace artistique et intime dont la vocation est d’ouvrir des portes vers d’autres espaces, personnels, familiaux, professionnels, sociaux… L’art-thérapeute est un passeur qui reste dans l’ombre et se retire dès que le processus est enclenché.