L’art catalyseur ou comment l’art nous permet d’apprendre à apprendre

Aujourd’hui, une grande partie de notre éducation nous prépare à un avenir qui n’arrive jamais.
Savoir des choses pour plus tard revient à ne rien savoir du tout.
Anni Albers « One aspect of Art Work », 1944


Nous vivons dans un monde où un savoir peut être à tout moment requestionné et discuté ; un monde où un point de vue peut en chasser un autre, comme un mobile tourne et se recompose au gré du vent.  Dans ce monde, apprendre à apprendre est une capacité essentielle ; apprendre « en faisant » est un processus incontournable.

Ok…  mais comment faire ?

A l’école, on nous a appris (dans le meilleur des cas) à penser. Mais bien « penser » ne suffit pas… Sur le chemin vers le nouveau, la pensée croise les émotions, nées des écueils ou des moments de fulgurance ; pour être courageuse ou audacieuse, elle doit être soutenue, rythmée par des savoir-faire du corps et des sens aiguisés : ténacité, persévérance, souplesse, respiration, discernement …

L’art cet égard peut changer la vie de celui qui le fréquente, en « simple » contemplateur, ou acteur engagé, quelles que soient ses finalités.


Pour apprendre à apprendre, il faut gérer en même temps un objet de découverte et le processus pour le découvrir. Rester concentré « dans » son sujet, dans l’instant présent, en vigilance extrême, et en même temps « au-dessus, « à côté », presque dissocié de ce qui se passe pour mieux le regarder…

L’artiste fait cela. Chaque création est une occasion pour s’y entrainer. Chaque œuvre créée contient son « code », unique bien qu’inspiré du monde où elle advient. Elle est comme un poème dont on a inventé le langage.

Ainsi, dans le détour par l’art, nous apprenons à apprendre ; nous pénétrons dans un laboratoire où le sens nait de l’action.

L’artiste Annie Albers, formée au Bauhaus puis migrant avec son mari Joseph aux Etats unis pendant la 2de guerre mondiale a su explorer cette voie de « l’apprendre en faisant ». Le couple enseignait au collège expérimental  Black Mountain, inspiré par les recherches du philosophe pragmatique John Dewey.  Joseph développe une pédagogie centrée sur l’observation ; l’art, dit-il, nous fait voir plus que ce qu’il n’y a en réalité. L’expérimentation sur la matière est une porte vers la pensée et vers l’imaginaire. En prolongement du regard, Anni démontre  l’importance du geste et de la sensibilité tactile  :

Nous touchons les choses pour nous assurer de la réalité. Nous touchons les objets que nous chérissons. Nous touchons les choses que nous formons. Nos expériences tactiles sont fondamentales. Si nous en réduisons la diversité, comme nous le faisons lorsque nous limitons la nécessité de former nous-même les choses, nous devenons bancals. Avec la tendance actuelle à surcharger notre matière grise de mots et d’images – autrement dit, de matériaux déjà transposés dans une certaine tonalité, des matériaux préformulés – nous sommes bien en peine de trouver le stimulus capable d’éveiller notre élan créatif, comme le ferait un matériau encore informe, une matière « brute ».
Anni Albers,  « Du tissage » 1965

L’étymologie du verbe « comprendre »  saisir, prendre dans la main, et par extension manipuler, faire l’expérience de , lui donne raison, à moins que ce soit l’inverse…

80 ans plus tard, les neurosciences amènent un nouvel éclairage, complémentaire à la démarche intuitive et empirique d’Anni et Joseph Albers.

B. Thirioux et son équipe de chercheurs nous démontre avec l’étude APPREN’ART (partenariat Musée d’Orsay – Université Paris-Est Créteil et Centre Hospitalier Henri Laborit de Poitiers) qu’observer une œuvre d’art serait un stimulant pour le cerveau. En potentialisant le « mode cérébral par défaut », mobilisé dans l’attention simultanée au monde et à soi, entrainant ainsi la réactivité, la gestion de ses émotions et la confiance en soi. Vous êtes contemplatif, perdu dans vos pensées ? Votre cerveau lui reste très actif. Il  possède un mode « par défaut », piloté par un réseau de neurones dits « de repos ». Son fonctionnement reste encore mystérieux mais les sciences cognitives ont établi qu’il se déclenche lorsqu’on se concentre sur ses pensées plutôt que sur l’environnement extérieur. À l’inverse, il se désactive lors de tâches exécutives comme l’apprentissage ou la prise de décision. C’est alors le réseau de contrôle (aussi appelé exécutif) qui prend le relai. Ainsi, ces deux réseaux sont anti-corrélés, comme un binôme qui fonctionne l’un après l’autre. Sauf dans le domaine de la créativité, semble-t-il…

«Quand on demande aux personnes de réaliser une tâche créative sous IRM, on constate que ces deux réseaux sont activés en même temps.» Sans doute parce qu’être créatif nécessite à la fois d’explorer mentalement ses connaissances, mais aussi d’exercer du contrôle pour sélectionner les idées les plus originales et adéquates. Un équilibre nécessaire entre maitrise et rêverie. Ainsi, ce réseau cérébral du repos est indispensable pour prendre du recul et mettre en perspective ses propres pensées. C’est ce qu’on appelle la métacognition.

(Article  Sciences et vie – Pourquoi le cerveau est-il très actif au repos – 30 janvier 2023 )

Tiens tiens… la méta cognition ? Une autre façon de dire « apprendre à apprendre » ?