S’épanouir, c’est ce à quoi l’on rêve à vingt ans.
Et parfois encore vers la quarantaine, lorsque le chemin suivi ne nous comble pas complètement.
Mais qu’en est-il ensuite ?
Abraham Maslow nous avait bien prévenu ; à la cime de la pyramide, il nous reste encore une quête : « contribuer à plus grand que soi », « laisser une trace »…
Cela suppose de sortir de ses sentiers battus, d’oser s’aventurer dans des lieux ou des recoins inexplorés, de passer par des moments de doute et de vide, et peut-être aussi de prendre des risques, de faire un pari : celui de s’exposer ; mettre dans le mouvement du monde ce qui vient intimement de soi.
Les artistes connaissent ces passages, ce processus qu’ils mettent en œuvre à chaque création. Et vous ? Etes-vous prêt.e pour cette traversée ?
En Avril 1879, Ferdinand Cheval, facteur rural âgé alors de 43 ans, butte lors de sa tournée sur une pierre si bizarre qu’elle réveille un désir… Il va consacrer le reste de sa vie à bâtir en autonomie son palais de rêve dans son jardin. Parcourant chaque jour une trentaine de kilomètres pour ses tournées en pleine campagne, il va ramasser pierre après pierre et inspiré par la nature, les cartes postales et les premiers magazines illustrés qu’il distribue, il va réaliser l’œuvre de sa vie.
Il imagine un palais peuplé d’un incroyable bestiaire, de géants, de fées et autres personnages mythologiques, de cascades et d’architectures de tous les continents.
Cette œuvre architecturale est aussi inclassable qu’universelle. Unique au monde, le Palais Idéal situé à Hauterives dans la Drôme a inspiré les artistes durant plus d’un siècle. Indépendant de tout courant artistique, construit sans aucune règle d’architecture, il a fait l’admiration des surréalistes et est classé en 1969 Monument Historique au titre de l’art naïf.
Un signe, un mot, un événement, un matériau, une rencontre … Autant d’indices qui font office de détonateur. Didier Anzieu dans « Le corps de l’œuvre », un des ouvrages de référence sur le processus de création, parle de « saisissement créateur ». Cette première étape du processus créatif est aussi déterminante que fugace. Si nous ne sommes pas prêt.e à le saisir, l’indice retourne rapidement dans la nébuleuse de l’inconscient. Et notre intelligence créative se remet en sommeil.
C’est donc cette capacité à « saisir » qu’il faut cultiver, cette fulgurance que nous avions tous enfant, et qu’il faut réactiver pour la plupart d’entre nous… Mais nous n’en sommes qu’à l’amorce du processus créatif. A cette première étape en succèdent d’autres. Car cultiver son jardin est un processus complexe, contextualisé et sujet aux aléas… Comme l’est chaque processus créatif : toujours singulier, façonné par les énergies qui le traversent comme autant de moteurs et de freins.
Chacune de ces étapes est détaillée ci-dessous. Ces descriptions sont le fruit de mes observations au contact des personnes accompagnées. Elles présentent des analogies avec celles d’un processus créatif tel que le vivent les artistes.
Prise de conscience
Pour se réaliser, il faut plonger profondément en soi et faire revenir à la surface des désirs enfouis.
Car le désir de réalisation de soi s’enracine profondément dans notre histoire et la façon dont elle s’est tissée. Les « nœuds » de l’histoire sont ces endroits où les bifurcations s’amorcent, où l’énergie est tout à coup retenue. Il faut remonter jusqu’à eux et les démêler. C’est tout un système complexe d’entrelacs qu’il faudra déjouer. Difficile… Mais l’humain est étonnant. L’accès aux nœuds des profondeurs se fait parfois, de façon fulgurante, au détour d’un pli de conscience. C’est particulièrement vrai dans la création artistique. Anzieu parle de « saisissement » créateur. Quelque chose, un « indice », retient soudain votre intention. Une matière, une couleur, une scène de vie, un fait divers… Cet indice vous saisit, certes. Mais il va falloir à votre tour le saisir, et en remonter le fil. C’est le départ du travail créateur. Et il est délicat à enclencher. Quand la vie courante a pris son rythme, on n’est pas, on n’est plus disposé à se laisser saisir et à suivre le fil. Cela demande un effort sur soi, et on laisse filer… Mais un jour ou l’autre, le travail créateur, faute de se mettre en marche, laisse toute la place au vide, et à l’angoisse qui grandit avec.
Tangente plutôt que rupture
Une fois le désir émergé, la réalisation de soi suppose d’accepter une « plongée » en soi. Elle va trouver son ancrage dans nos expériences passées (les désirs, les émotions…) stockées à un niveau inconscient. Le détour par la création artistique peut ouvrir cet accès, tout en montrant ce qui est mis en lumière sous un angle inédit et souvent fertile. On ne cherche pas à établir des constats, on cherche à « faire avec ».
Cette étape s’accompagne d’émotions fortes. Et la tentation survient d’en rester là. Courage…. Car une vision, une idée finit par émerger. Quelle soit comme une lumière soudaine, ou une aube progressive, on parle « d’illumination » !
Travail et cheminement
La vision doit s’incarner. Celle-ci n’est pas le plan abstrait de ce que l’on doit faire. C’est plutôt un état imaginé, un cap que l’on se donne. Pour avancer dans la concrétisation, on procède de façon empirique : on agit, puis on réfléchit… C’est donc difficile et parfois risqué. On tombe dans des impasses, on y frôle le vide du « je ne sais plus ». On « jette » et on recommence parfois, mais sans que ce soit un retour au point de départ. Cette gestation très active peut être difficile à assumer. On n’a pas toujours les mots pour en parler. Et autour de vous, certains se questionnent….
Une part d’innocence
On entend parfois « si j’avais imaginé tous les écueils, je n’y serai pas allé.e… Mais je ne le regrette pas ! »
C’est bien l’enfant en nous qui passe ici aux commandes !
A ce stade, quelque chose existe et votre volonté de poursuivre est bien arrimée. Il est temps de déployer votre projet dans votre environnement. Mieux vaut le faire doucement. L’enfant trouve son étayage chez ses pairs et ses adultes de références ; l’artiste a lui aussi ses rituels de passage entre l’atelier et la « production de son œuvre au dehors ». Vous avez probablement vous aussi besoin de consolider votre confiance en soi dans ce passage décisif. Des « passeurs » peuvent vous aider.
S’exposer au dehors pour se réaliser
Tout processus de création passe par cette phase ultime mais capitale : l’exposition. Il y va, au-delà de la reconnaissance, de l’affirmation de soi, d’un droit à l’existence. Le processus de création est-il achevé ? Pas complètement. Mais il va se réaliser au grand jour, se « négocier » corps à corps avec la réalité en place.
Les artistes apprennent avec l’expérience à se tenir debout pendant une telle traversée.
Vous pouvez vous aussi apprivoiser ce processus :
. En participant aux ateliers d’intelligence créative , vous pourrez trouver vos marques dans ce processus, en comprendre les moteurs et les freins. C’est une voie possible pour vous préparer à le mettre en œuvre dans votre vie.
. Et quand l’existence est comme suspendue, le flux de la vie courante dévié par un burnout, un accident, une dépression… l’atelier d’art-thérapie peut vous aider à retrouver un rythme et à vous (re) trouver dans ce rythme.